article by Pascal TORRE
Deputy responsible of the International Section of the French Communist Party
Responsible for the Maghreb and the Middle East
*** Français ci-dessous ***
On Sunday, Tunisia experienced popular protests against the government calling for the dissolution of Parliament in the wake of multiple crises that have plunged the country into disarray.
Overnight, with the support of the army and invoking the controversial article 80 of the Constitution, the President of the Republic, Kaïs Saïed, sacked Prime Minister Hichem Mechichi, suspended Parliament for 30 days and lifted the immunity of its members. At the same time and in an unprecedented move, he granted himself all powers, taking charge of the executive, including the judiciary, pending the appointment of a new head of government. An authoritarian conservative, put in power by the Islamist parties, Kais Saied, who thinks of himself as the father and saviour of the country, thus claims that he is re-establishing the state’s authority, while leading the country through an institutional crisis with far-reaching implications.
Following this announcement, clashes occurred outside Parliament, while its Speaker, the Islamist Rached Ghannouchi, was prevented access to the Assembly by the army. The ruling coalition, consisting of Islamist parties Ennahda and Al-Karama along with Qalb Tounès, denounced a “coup d’Etat”. The Democratic Current (social-democrat) denounced these events in the same terms, while claiming the ruling parties were responsible for the situation. Only the General Union of Tunisian Workers (UGTT) considered the President’s decision was constitutional, while calling for the democratic process to continue.
Since the elections in 2019, Tunisia’s structural crisis has just gone from bad to worse, and a succession of Islamist governments has brought the country to its knees. The coffers are empty, debt has reached 100% of GDP, while unemployment is nearing 3 million, out of a total population of 12 million. Wages are extremely low, the middle classes are getting poorer, while the disadvantaged masses are foundering. The Covid-19 crisis has exacerbated tensions by bringing the healthcare system to the point of collapse, after it had already been worn down by the destruction of public services. With 18,000 dead, Tunisia has one of the highest mortality rates in the world. In this environment, resentment has been building, while corruption is endemic, and the disdain and arrogance shown by the ruling classes cannot be denied.
Parliament, undermined by conflicts, the tensions between the government and the President of the Republic, who for months has not attempted to hide his hostility to the Constitution, have paralysed and disrupted public action. This in part explains the scenes of jubilation seen in the country, because the decision taken by Kais Saied, who is riding on the people’s frustration, initially looked like an attempt to breathe new life into the system after months of deadlock. After the revolution and the fall of Z. Ben Ali’s bloody dictatorship, which enabled the people to regain freedom of expression, expectations of justice and equality remain intact, but are constantly deferred by recurring regressions.
Western countries and international institutions like the IMF carry a heavy responsibility for the deterioration of the current situation. The promises of support after the revolution in 2011 never came to fruition, while the free trade agreement between Tunisia and the EU has weakened the economy. France and other EU countries have exerted more pressure on Tunis with a view to outsourcing the management of migrant flows. Finally, the war in Libya has exacerbated the destabilisation of the region and the terrorist threat.
Tunisia is entering the unknown. The gains of the revolution may be called into question, and this represents a danger for the only democracy to come out of Arab Spring. This would no doubt have repercussions for the whole region.
In this environment, the communists express their solidarity with all Tunisia’s democratic forces. There is no way forward other than freedom, and respect for law and justice to ensure the ideals that prevailed during the revolution triumph.
*** FR ***
TUNISIE: UNE SITUATION LOURDE DE MENACES POUR LES ACQUIS DE LA REVOLUTION
par Pascal TORRE
Responsable-adjoint du secteur international du Parti Communiste Français
En charge du Maghreb et du Moyen-Orient
La Tunisie a connu dimanche des manifestations populaires pour protester contre le gouvernement et réclamer la dissolution du Parlement face à la multiplication des crises qui plonge le pays dans le désarroi.
Dans la nuit, avec le soutien de l’armée, le président de la République, Kaïs Saïed, s’appuyant sur le controversé article 80 de la Constitution a limogé le premier ministre Hichem Mechichi, suspendu l’activité du Parlement pendant 30 jours et levé l’immunité des députés. Dans un même mouvement, de manière inédite, il s’est octroyé la totalité des pouvoirs prenant en charge l’exécutif, dont la justice, en attendant la nomination d’un prochain chef de gouvernement. Conservateur autoritaire, amené au pouvoir par les islamistes, Kaïs Saïed, qui se pense comme le père et le sauveur de la patrie, prétend ainsi rétablir l’autorité de l’Etat tout en menant le pays dans une crise institutionnelle lourde de conséquences.
Après cette annonce, des affrontements se sont produits devant le Parlement alors que son président, l’islamiste Rached Ghannouchi, se voyait interdire par l’armée l’accès à l’Assemblée. La coalition au pouvoir composée des partis islamistes Ennahdha et Al-Karama mais aussi de Qalb-Tounès a fustigé un « coup d’Etat ». Le mouvement Courant Démocratique (social-démocrate) a dénoncé dans les mêmes termes ces évènements tout en imputant la responsabilité de la situation aux partis au pouvoir. Seule, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a estimé que la décision du président était conforme à la constitution tout en appelant à la poursuite du processus démocratique.
Depuis les élections de 2019, la crise structurelle qui affecte la Tunisie ne cesse de s’aggraver et les gouvernements islamistes qui se succèdent ont mis le pays à genoux. Les caisses sont vides, la dette atteint 100% du PIB alors que le chômage frappe 3 millions de personnes pour 12 millions d’habitants. Les salaires sont misérables, les classes moyennes s’appauvrissent tandis que des masses de déshérités sombrent. La crise du Covid-19 a exacerbé les tensions saturant les services hospitaliers déjà délabrés par la destruction des services publics. Avec 18 000 morts, la Tunisie a l’un des taux de mortalité les plus élevés du monde. Dans ce contexte, les ressentiments se sont accumulés d’autant que la corruption bat son plein et que la morgue et l’arrogance des classes dominantes ne se démentent pas.
Le Parlement, miné par des conflits, les tensions entre le gouvernement et le président de la République, qui ne cache pas depuis des mois son hostilité à la Constitution, ont paralysé et désorganisé l’action publique. Cela explique en partie les scènes de liesse qui se sont produites dans le pays car la décision de Saïd Kaïes, qui surfe sur les frustrations, est apparue dans un premier temps comme une tentative de donner un nouveau souffle au système après des mois de blocage. Depuis la révolution et la chute de la dictature sanglante de Z. Ben Ali, qui ont permis de conquérir la liberté d’expression, les attentes de justice et d’égalité demeurent intactes mais sont constamment ajournées par des régressions récurrentes.
Les pays occidentaux et les institutions internationales comme le FMI portent une lourde responsabilité dans la dégradation de la situation actuelle. Les promesses de soutien après la révolution de 2011 ne se sont jamais concrétisées alors que les accords de libre-échange Tunisie-UE ont fragilisé l’économie. Dernièrement, Paris et les pays de l’UE ont multiplié les pressions sur Tunis pour externaliser la gestion des flux migratoires. Enfin, la guerre en Libye a accentué la déstabilisation ainsi que la menace terroriste.
La Tunisie entre dans l’inconnu. Les acquis de la révolution peuvent être remis en cause et cela constitue un danger pour la seule démocratie issue des « Printemps arabes ». A n’en pas douter, cela entraînera des répercussions sur l’ensemble de la région.
Dans ce contexte, les communistes expriment leur solidarité avec toutes les forces démocratiques tunisiennes. Il n’y a pas d’autres issues que la liberté, le respect du droit et la justice pour faire triompher les idéaux qui ont prévalu pendant la révolution.